Par décret n°2017-891 du 6 mai 2017, publié au JO français le 10 mai 2017, est intervenue une profonde réforme de la procédure d’Appel des décisions rendues par les juridictions françaises en matière de compétence.

Nombre d’entreprises monégasques étant attraites devant des juridictions françaises, – la plupart du temps de manière discutable – il est essentiel d’avoir connaissance de cette réforme, pour ne pas risquer l’irrecevabilité d’une contestation, lorsque les Tribunaux se sont déclarés compétents pour connaitre de litiges reposant sur des contrats pour lesquels la loi monégasque s’applique nécessairement, voire parfois exclusivement, selon les termes contractuels ou les règles de territorialité.

Des conflits de compétence fréquents

Pour ne considérer que le contexte du droit social, nous savons que la loi monégasque attribue compétence exclusive au Tribunal du Travail de MONACO pour tous les litiges liés à l’exécution du contrat de travail, et plus généralement pour tous les litiges dans un contexte de contrat de travail, soit entre le salarié et son employeur, soit entre les salariés eux-mêmes, dans une même entreprise.

Il est, bien sûr, recommandé de préciser dans les contrats de travail ou dans les lettres d’embauche, que le contrat est soumis à la loi monégasque, ce qui est évident puisque, au moins pour les règles d’Ordre Public, plus spécifiquement le permis de travail, l’application de la loi monégasque s’impose et il n’est pas admissible de ne pas en respecter les dispositions.

Des salariés en litige avec leur employeur monégasque, à propos de leur contrat de travail exécuté sur le territoire de Monaco, pensent opportun de saisir un Conseil des Prud’hommes français, plutôt que le Tribunal du Travail, qui est pourtant la juridiction désignée par la loi monégasque.

Le fait que le salarié d’une entreprise monégasque soit amené à travailler en France ponctuellement, dans le cadre de la traversée de la frontière commune prévue par la Convention Franco-Monégasque de sécurité sociale, ou du détachement, ne change rien à la compétence exclusive du tribunal du Travail.

A première vue, la saisine d’un Conseil des Prud’hommes en France, par un Français, à propos d’un litige avec un employeur monégasque pour l’exécution d’un contrat de travail exécuté pour un employeur établi sur le territoire monégasque, apparaît recevable selon la loi française. Cette possibilité repose sur les articles 14 et 15 du Code Civil français, qui permettent à un justiciable de nationalité française d’attraire devant un tribunal français toute personne, même non résidente en FRANCE, à propos d’un contrat qui aurait été passé ou exécuté hors du territoire français.

En y regardant bien, l’on peut émettre des doutes. La compétence d’un Conseil des Prud’hommes français, dans un litige rattaché à un contrat de droit monégasque, a été de nombreuses fois contestée. Notre recommandation constante est de la contester systématiquement, la référence aux articles du Code Civil ci-dessus n’ayant pas un caractère impératif. En outre la Loi Française limite la compétence prud’homale au seul « Code du travail ».

Le doute sur la compétence des Conseils de Prud’hommes

Comme visés ci-dessus, les articles 14 et 15 du Code Civil permettent à un Français d’attraire quiconque devant un tribunal français.

En premier lieu, il y a lieu de rappeler que, selon la jurisprudence française, ces articles 14 et 15 du Code Civil ne sont pas considérés comme des dispositifs d’Ordre Public. En conséquence, un contractant français avec un employeur monégasque peut parfaitement, et cela sera respecté par les Tribunaux français, renoncer contractuellement au bénéfice des articles 14 et 15 du Code Civil.

En-dehors de cette hypothèse, qui exige que la renonciation soit formelle dans le contrat ou en lien établi dans une annexe du contrat, il y a d’autres bonnes raisons de contester la compétence d’une juridiction française, et plus particulièrement celle du Conseil des Prud’hommes, juridiction d’exception.

Dans une convention dite de ROME signée le 19 juin 1980 par nombre de pays, dont la FRANCE, l’approche libérale, quant à liberté du choix de la référence à la loi applicable aux contrats, est retenue et devient la règle pour les signataires l’ayant ratifié. La ratification de cette convention a été publiée en 1991. En conséquence, au regard des engagement de la FRANCE auprès de la Communauté des Nations, la reconnaissance d’un droit applicable autre que le droit français, même pour les français, n’est plus contestable.

En outre, ce traité, qui est toujours en vigueur, a été pratiquement repris dans le règlement de l’Union Européenne UE 593_2008 qui a invité les pays membres à harmoniser leur réglementation pour respecter la liberté de choix de la loi gouvernant le contrat.

Bien entendu, même l’engagement international de la FRANCE n’est pas un total laisser-aller puisque, dès lors qu’un salarié étranger travaille sur le territoire français, même temporairement, la FRANCE considère, et certainement à juste titre, que les règles de l’Ordre Public français (durée du travail, salaire minimum, conditions d’hygiène et de sécurité, etc.) doivent être scrupuleusement respectées.

Il existe toutefois une exception à ce qui précède. La convention Franco-Monégasque de Sécurité Sociale de 1952 est un traité ayant valeur supra-légale et donc autorité normative supérieure à certains contenus du Code du Travail français. Par exemple, il est très difficile de déterminer comment des dispositions françaises d’Ordre Public peuvent s’appliquer à l’exécution d’un contrat de travail lorsque le salarié, employé par une entreprise monégasque, travaille de manière alternative, continuellement ou occasionnellement, dans chacun des deux côtés de la frontière commune entre France et Monaco.

Notons que le texte de la convention Franco-Monégasque, de nombreuses fois, renvoie « aux législations » du pays habituel, applicables à l’employeur, lors d’intervention sur le territoire de l’autre pays.

La jurisprudence actuelle

En FRANCE, des contestations de compétence ont été accueillies par des Conseils de Prud’hommes. Ces juridictions se sont déclarées incompétentes, généralement au profit de la juridiction monégasque, en l’occurrence le Tribunal du Travail.

Le plus souvent, les salariés qui avaient cru bon de saisir une juridiction française, à la lecture de cette décision d’incompétence, renoncent à faire appel d’une décision d’incompétence devant les juridictions françaises et ouvrent le même débat devant la juridiction du Travail de la Principauté de MONACO. Rappelons que la saisine d’une juridiction, même incompétente, interrompt la prescription. En d’autres termes, un salarié qui aurait saisi à tort les Prud’hommes en FRANCE et qui reviendrait devant la juridiction monégasque alors que la prescription quinquennale est passée, pourra demander à être reçu tout de même, en considération du fait qu’il n’était pas prescrit lorsqu’il a commencé par saisir le Conseil des Prud’hommes français, fut-ce par erreur.

Si certains Conseils de Prud’hommes acceptent leur incompétence dans de telles circonstances, les décisions de Cour d’Appel, voire de la Cour de Cassation en France, considèrent, jusqu’à présent, que rien ne s’oppose à ce que la juridiction française juge en droit monégasque et que, dans ces conditions, aucune des parties ne saurait remettre en cause la compétence de la juridiction française.

Nous avons des raisons de penser que, précisément, il y a, au contraire, une raison de contester cette compétence. D’où l’intérêt pour les parties qui contestent la compétence d’un Tribunal français à propos d’un contrat soumis au droit monégasque, de continuer par la voie de l’Appel (et anciennement du contredit) pour faire valoir à son profit un point de droit purement français.

La QUESTION à REGLER par la Haute Juridiction française

Malgré nos recherches, il semble que jamais, sur cette question précise de la restriction de compétence au seul Code du Travail des Conseils de Prud’hommes, la Cour de Cassation française ne s’est prononcée. Pourtant c’est une question de droit qui mérite réponse au regard des articles 14 et 15 du Code Civil français, quand un droit étranger est en la cause.

En effet, le Code du Travail français, dans son article L 1411-1, qui définit la compétence prud’homale, pose la règle légale en la matière :

Or, le texte précis de cet article est la pure expression de la loi  :

« L 1411-1 – Le conseil de prud’hommes règle par voie de conciliation les différends qui peuvent s’élever à l’occasion de tout contrat de travail soumis aux dispositions du présent code entre les employeurs, ou leurs représentants, et les salariés qu’ils emploient.

Il juge les litiges lorsque la conciliation n’a pas abouti.»

La lecture de ce texte de la Loi Française permet d’affirmer que la compétence du Conseil des Prud’hommes se limite aux litiges soumis au Code du Travail français.

Il demeure que le Code du Travail Français ne régit, ni directement ni indirectement, aucun contrat de droit monégasque.

Pourtant, la Cour de Cassation Française s’est déjà prononcée maintes fois, en matière de compétence, en renvoyant les parties devant le Conseil des Prud’hommes, tout en rappelant à la juridiction prud’homale qu’elle se doit de juger en droit monégasque. Aucun de ces arrêts ne traite de la limite écrite, que le Législateur Français a posée pour le Conseil des Prud’hommes.

Nous considérons que la jurisprudence n’est pas établie sur cette question de compétence, tant que la Haute Cour Française n’aura pas répondu, dans un arrêt, sur la lecture qu’il convient de faire de l’article L 1411-1, en ce qu’il restreint sa compétence aux litiges soumis au « Code du Travail ».

A ce jour, il semble qu’aucune affaire pendante devant la Cour de Cassation française ne traite de cette question, à nos yeux fondamentale, de l’application d’un droit étranger, qui se situe nécessairement hors la compétence prud’homale. Il semble donc que la Haute Cour n’ait jamais été saisie de ce moyen.

L’objection qui est souvent faite est que, comme pour tous les pays de l’Union Européenne, la juridiction prud’homale peut être appelée à statuer sur des questions qui trouvent leur base dans d’autres textes que celui du Code du Travail français. C’est par exemple le cas lorsque la FRANCE se doit de faire référence à une jurisprudence des Cours Européennes, qui établissent des règles qui s’imposent aux pays membres avant même que ceux-ci aient modifié leur législation en conséquence.

MONACO n’étant pas membre de l’Union Européenne, rien ne permettrait à la justice française de considérer comme normal qu’un Conseil de Prud’hommes puissent traiter une question en se référant à une loi étrangère, en l’occurrence la loi monégasque.

La jurisprudence monégasque

En retenant ce qui est dit ci-dessus, on pourrait penser que les juridictions monégasques refusent systématiquement l’exequatur, c’est-à-dire l’exécution à MONACO, contre un employeur établi à Monaco, d’une décision rendue par un Conseil des Prud’hommes français.

En effet, la convention de 1949 entre la FRANCE et MONACO sur l’entraide judiciaire simplifie l’exequatur d’une décision Française à MONACO, et d’une décision Monégasque en France. Cette convention a pour objet d’éviter qu’il n’y ait, dans le pays où l’exequatur est demandée, de réouverture du procès. Ainsi l’exequatur serait donnée quasi-automatiquement dans le second pays, après que la juridiction ait répondu aux seules des questions précises sur le droit des parties, le droit de leur défense, mais aussi, et surtout, en l’occurrence, sur la compétence de la juridiction étrangère qui a rendu la décision.

Aujourd’hui, il y aurait donc un sens à ce que les juridictions monégasques n’acceptent jamais d’accorder l’exequatur à un jugement dont le premier ressort a été prud’homal puisque, à la simple lecture de la loi française, un Conseil des Prud’hommes ne doit pas se référer à un droit étranger, quand bien même le droit monégasque serait celui choisi expressément par les parties qui se sont présentées devant lui.

A plusieurs reprises, les juridictions monégasques ont sans doute été tentées de refuser l’exequatur pour les raisons ci-dessus, mais dans une décision de bon sens du Tribunal de Première Instance, il a été considéré que le plaignant monégasque qui n’avait pas fait appel et qui n’avait pas contesté la compétence de Conseil Prud’homal n’était plus recevable pour faire valoir devant la juridiction monégasque que le Conseil des Prud’hommes n’était pas compétent.

Ainsi, lorsqu’une entreprise de Monaco est condamnée par un Conseil des Prud’hommes français, elle ne peut pas se contenter de cette décision en espérant que les juges monégasques ne la rendraient pas exécutable à MONACO. Il faut donc que l’employeur monégasque, qui conteste la compétence prud’homale, purge la totalité du débat, c’est-à-dire fasse appel, obtienne une décision d’Appel satisfaisante ou saisisse la Haute Juridiction, la Cour de Cassation, pour qu’enfin une décision soit prise par cette Haute Juridiction, sur la cohérence d’un renvoi devant une juridiction française spéciale alors que la loi française interdit à celle-ci de connaitre d’un droit étranger.

En d’autres termes, la jurisprudence, tant à MONACO qu’en FRANCE, reste incertaine sur cette question primordiale.

CE QUI CHANGE, EN FRANCE

Après ce résumé de la situation actuelle, il est temps de rappeler quelles sont les nouvelles dispositions en vigueur depuis le décret publié le 10 mai 2017.

La première disposition est la réduction des délais pour interjeter appel sur la compétence, puisque le contredit n’existe désormais plus.

Ainsi, lorsqu’une juridiction ou un juge se prononce sur la compétence, sans avoir abordé le fond, et l’ayant réservé, le délai d’Appel est de 15 jours à compter de la notification par lettre recommandée avec accusé de réception faite par le greffe, que la décision critiquée soit une ordonnance ou un jugement.

Désormais, dans ce délai de 15 jours, un Appel motivé doit être déposé, selon la procédure à jour fixe ou la procédure de fixation à bref délai.

Quelle que soit la procédure d’Appel engagée, elle est présentée au Premier Président de la juridiction d’Appel compétente dans le délai de 15 jours, qui a commencé à courir au jour de la première présentation du courrier auprès de la partie qui a fait Appel.

La procédure est un peu plus lourde, mais les délais sont les mêmes, lorsque l’Appel porte sur la compétence et aussi le fond abordé, dans une décision qui a traité à la fois de la compétence et du fond.

Ce changement de la règle de procédure française pouvant avoir des conséquences pour les intérêts des entreprises monégasques qui sont attraites devant des juridictions française, cette actualité revêt une importance évidente.

 Post Scriptum.

La question ci-dessus, qui doit faire l’objet d’une décision à la fois en FRANCE et, le cas échéant, en Principauté de MONACO, si la juridiction monégasque est saisie en exequatur, pourrait sans doute traiter également d’une question subsidiaire, quant à l’application des articles 14 et 15, quand les parties n’y ont pas renoncé préalablement à tout litige.

La contestation de la compétence prud’homale repose essentiellement sur la définition très restrictive du Code du Travail français, quant à la compétence exclusivement basée sur le Code du Travail de cette juridiction spéciale, le Conseil des Prud’hommes.

Si les articles 14 et 15 du Code Civil français ont vocation à s’appliquer pour tout français qui souhaiterait attraire son adversaire devant une juridiction française, la lecture du texte permet de penser, comme indiqué ci-avant, que le Conseil des Prud’hommes n’a pas de compétence. Toutefois, cela ne veut pas dire qu’il soit ainsi fait échec au principe du Code Civil français, car il existe en FRANCE une juridiction généraliste, que le bénéficiaire des dispositions des articles du Code Civil peut saisir, c’est le Tribunal de Grande Instance.

Ce raisonnement juridique permettrait de penser que le Français qui a un litige de droit du travail avec son employeur monégasque pourrait être reçu par un Tribunal de Grande Instance, au regard de l’interdiction explicite faite par le législateur quant à voir le Conseil des Prud’hommes traiter d’un droit étranger.

Il faudrait toutefois que le Tribunal de Grande Instance apporte une réponse à une question précise, en constatant le parallélisme des règles en FRANCE comme à MONACO, sur le recours à une juridiction spéciale en matière de droit du travail.

Cette juridiction spéciale doit normalement s’imposer au Tribunal de Grande Instance, qui devrait se déclarer incompétent dès lors que dans son principe le législateur a dévolu cette compétence à une autre juridiction spéciale.

Quant à l’hypothèse d’un jugement rendu par un Tribunal de Grande Instance français qui se serait déclaré compétent, le plaignant qui aurait satisfaction dans son procès, aurait toutes raisons de craindre une difficulté pour la faire exécuter en Principauté de MONACO, compte tenu du caractère exclusif d’une juridiction spéciale pour les litiges liés au droit du Travail.

En résumé, un plaignant serait bien avisé de renoncer à saisir une juridiction française pour un litige soumis au droit monégasque, car il se promet pour le moins une longue et incertaine procédure devant les juridictions françaises puis monégasques, alors que, aujourd’hui, le temps de réponse du Tribunal du Travail est très court, comparé à l’attente cumulée de la décision d’un Conseil des Prud’hommes puis d’une Cour d’Appel, puis de la Cour de Cassation. Ceci sans compter qu’enfin, la juridiction monégasque, le Tribunal de Première Instance, devra statuer, y compris au fond, avant de permettre l’opposabilité de la décision, par l’exequatur.

Monaco, le 27 juin 2017.